Work
Original Sin
watercolor on paper 29,7 x 42cm
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Le corps que le modèle offre, la pose fière et vulnérable, ouvre un champ de narration. Corps-paysage, champ de bataille ou pays familier, il s’en passe des choses sur ces collines lumineuses, au creux de ces vallées obscures. Moi qui me croyais dominer la situation, le pinceau solidement en pogne, me voilà sujet d’un souverain inattendu. C’est lui qui, du haut de sa sellette domine l’atelier, le tient en haleine comme Shéhérazade captive son roi, lui tend le miroir de sa nudité afin qu’on y contemple avec admiration et effroi la profondeur de nos âmes.
Que restera t-il de nos vies? Nous quittons ce monde comme nous y sommes venus, nus, sales et innocents. Alors l’important, le précieux, le sublime doit bien être là, sur ce corps. L’homme nu qui pose en silence nous dit tout cela, il nous dit l’humanité, nos pères et nos mères et leurs pères et leurs mères avant eux, jusqu’au fond inimaginable des temps.
L’encre rappelle la fragile condition humaine, sécrétions malpropres, obscènes d’un corps souffrant et vieillissant. Mais le sang est la vie, le battement du cœur, le désir, la transmission du père au fils, de la mère à l’enfant. A cette couleur de base, fondation charnelle de ce travail, j’ai ajouté une deuxième couleur, puis une troisième. Les rouges, violets, indigos, bruns sont mon technicolor, ils transforment le portrait en une scène épique, héroïque. Car il nous faut raconter encore et encore l’Odyssée d’Ulysse, les amours de Roméo et Juliette, l’enfer de Dante, le triste destin de Garance, le combat de Rocky. La lumière, le cadrage serré, claustrophobique du cinéma expressionniste évacue tout ce qui est superflu pour aller à l’essentiel, l’homme qui doit se tenir debout malgré tout, sa force et ses faiblesses, ses doutes et sa détermination, ses espoirs.
Le pinceau parcourt la feuille en trajectoires souples et dansantes, bifurquant parfois avec rudesse, s’éloignant du droit chemin pour aller trop loin, faire trop de bruit. Il faut que ce soit musical, bruyant et fuzzy comme un riff de rock. L’encre devient tache, faussement désinvolte mais vivante de nuances qui se mélangent librement, de pigments échappant désormais à tout contrôle. Cette peinture très liquide s’achève sur un fil de funambule, un geste de trop et c’est la chute dans le vide, l’équilibre des taches qui s’effondre, le visage qui se trouble et disparait. Le papier encore humide n’a plus besoin de mon intervention, l’image s’y imprime dans une liberté adolescente, flirtant avec le danger. Elle se développe comme un tirage photographique dans un bain de révélateur: les couleurs migrent, changent, s’éclaircissent ou s’assombrissent.
Le papier alors se froisse, se gondole sous cette tempête d’eau. Il se parchemine comme une peau tatouée, ridée, cartographie d’une vie, richesse d’un chemin parcouru, de cicatrices qui sont autant de triomphes.